Ingmar Bergman : " Comme dans les rêves, quelque chose existe parce que nous le désirons..."
Dans les notes envoyées à ses collaborateurs, Ingmar Bergman expose les principes de son "prochain" film, Cris et1
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Dans un manoir, en Suède, à la fin du 19è siècle, trois femmes accompagnent Agnès, condamnée par la maladie, à affronter le bilan de sa vie.
Dans le huis-clos d'un château suédois, à la fin du siècle dernier, Agnès entourée de ses deux soeurs, est à l'agonie. Seul réconfort : sa servante aimante, figure de la charité. Grand prix technique au Festival de Cannes 1973 et Oscar de la meilleure photographie pour Sven Nykvist, "Cris et chuchotements", oeuvre au noir et marquée par le rouge-sang, fut l'un des plus grands succès de Bergman # Version restaurée et remastérisée en HD
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" Il y avait un rouge Godard ; il y aura désormais un rouge Bergman. Plus sourd. Solennel et tragique. Etouffant. Pour un enfer
" Il y avait un rouge Godard ; il y aura désormais un rouge Bergman. Plus sourd. Solennel et tragique. Etouffant. Pour un enfer capitonné de velours pourpre, où il n’y a place que pour le noir absolu du cérémonial et du deuil ou pour le blanc immaculé des chemises et des draps — l’intimité de la toilette féminine conduisant à l’ultime et obscène intimité de la toilette funèbre et de la mort. De séquence en séquence s’orchestre une fabuleuse symphonie du pourpre, du blanc, du noir, coupée, plutôt qu’unifiée, par des fondus enchaînés au rouge — comme si l’image se consumait sous nos yeux dans la palpitation d’un feu imparfaitement maîtrisé. C’est d’une beauté à couper le souffle.
Pas de place pour la nature. Par quelques plans immobiles se succédant dans la brumeuse attente (ou indifférence?) de l’aube, Bergmann évoque, en ouverture, des arbres, de l’herbe, du ciel, de l’air. C’est pour en prononcer l’exclusion avec plus de violence. Ils ne reparaîtront, somptueux et dorés, fête de lumière, que pour un adieu final. Cette absence — cet exil — sanctionne le huis-clos. Huis clos aussi rigoureux que celui de Sartre. Oui, l’enfer c’est les autres — cette mère, cette sœur, ce mari, cette bonne ; et c’est soi, ses faiblesses, sa hantise du péché et sa maladie qui entraînent une mort inéluctable — c’est-à-dire le Temps.
Gros plans d’horloges et de visages; tintements plus ou moins distincts; chuchotements étouffés par le blanc du linge, le rouge des tentures, le noir du crêpe ou de l’habit; soudaine explosion du cri bousculant le chuchotant et le feutré pour installer la brutale horreur du désespoir, de la haine ou de l’agonie : tels sont les éléments qui composent cette musique de chambre pour visages de femmes. Quatuor pour trois dames et une domestique. Quatre visages dont Bergman joue — à la lettre — en virtuose. Sur eux nous pouvons tout lire de cet enfer intime qui s’appelle l’amour, le désir, la solitude, la souffrance, la culpabilité, la peur.
Arrêtés par le confort terrible des tentures rouges, le bruit et la fureur du monde deviennent ces cris et chuchotements promis immanquablement au silence. Etude en rouge, ce film est un bouleversant portrait d’agonie — râles et sueurs. Jamais Bergman n’est allé aussi loin. Il essaie même de franchir la frontière. Par une fulgurante irruption du fantastique, il interroge passionnément l’au-delà — mais c’est pour s’arrêter aussitôt, sur le seuil, préférant peut-être ce silence qu’est la peur de savoir.
Aucun doute : le film de Bergman restera le grand choc du festival de Cannes 1973."
28/05/1973
" De sa musique de chambre pour quatuor de femmes, Bergman tient les hommes en marge, Ils n’interviennent que comme délégués de la société auprès de la mort — docteur et prêtre — et pour constater leur impuissance. Ou, dans les flashes-hack, figurant parmi les causes du drame qui oppose Karin et Maria; ou comme éléments du portrait de chacune d’elles: l’un des maris, par sa veulerie, sa pusillanimité, aggravant la frivolité de Maria jusqu’à l’égoïsme le plus cruel; l’autre, par son mépris, sa dureté, sa laideur, inspirant à Karin le dégoût de la chair, l’horreur des attouchements, la haine de la vie à un point tel qu’elle pousse un cri, elle aussi, d’épouvante et de colère, en écho au râle d’agonie.
Les maris ne sortent des coulisses de la mémoire que pour la fin: le retour à l’ordre, c’est-à-dire la bienséance,et au jeu social. Le drame les a écartés, ignorés. Car il est vrai que ce sont les femmes qui, dans nos sociétés, sont les plus proches de mystères comme la naissance et la mort. C’est une affaire de femmes que de manier les linges nécessaires à la toilette, que ce soit la toilette pour la nuit ou la toilette pour cette nuit qu’est la mort. Du film de Bergman, on se souvient, entre autre souvenirs, comme d’une tragédie des linges — avec tout ce que l’idée de linge entraîne d’intimité et de tiédeur menacée par le froid.
Si la foudre peut être lente, Cris et Chuchote-ments est d’une beauté foudroyante. Et terrible. Il vous poursuit. On a rarement, sur l’écran, parlé aussi fortement de la solitude de l’agonie et de rignominie scandaleuse de la mort. Mais — est-ce à cause de la pulsation chaude des enchaînements au rouge? — comme mû par l’instinct de la conservation, ou par un réflexe de défense, je m’accroche, comme Agnès, à la solide Anna. Anna la rassurante, la réconfortante. La seule que l’amour et la foi arment contre la peur de la mort — extraordinaire séquence entre rêve et réalité, où, grâce au sens que Bergman a du fantastique métaphysique, le cadavre continue, au-delà de la mort, de lancer un appel auquel seule Anna répond. La tragédie des linges tourne au triomphe d’Anna. Anna humiliée, abandonnée, mais victorieuse parla sérénité d’une douleur que la foi rend paisible. Anna la vie, généreuse et nourricière, illuminée de santé, Anna la mère, berçant la mourante qu’elle réchauffe de son sein comme un enfant; qu’elle aide à naître à la mort sous ses caresses.
Tableau sublime, pietà déchirante, que le plan où Anna, le sein nu gonflé au-dessus d’une bouche définitivement scellée, reste immobile, abîmée dans une douleur sans larmes qui ressemble à un songe. Anna vainc-t-elle la mort? C’est son amour qui fait revivre, pour dernières images, la splendeur harmonieuse de quatre belles jeunes femmes en blanc dans l’or d’un parc d’automne.
24 septembre 1974"
" Personne ne sort indemne de la vision de ce film, sans doute le plus violent des coups de poing métaphysiques qu'Ingmar Be
" Personne ne sort indemne de la vision de ce film, sans doute le plus violent des coups de poing métaphysiques qu'Ingmar Bergman ait jamais donnés. Trois soeurs, trois couleurs (rouge sang, blanc cadavérique, noir ténébreux), trois unités spatio-temporelles (hier idyllique, aujourd'hui asphyxiant, demain fuyant) : pour affronter la mort à visage découvert, le cinéaste décline ad nauseam cette sainte trinité qui régit son éducation rigide de fils de pasteur. L'au-delà l'intéresse moins que l'ici-bas. Au cancer d'Agnès, qui la réduit à l'état d'animal rugissant, répond une autre forme de cancer, aussi spectaculaire et dévastatrice : le puritanisme de sa soeur Karin, pour qui la moindre caresse est une torture. Seul un retour aux sources, simple et innocent, offre le salut aux humains perdus. Sucer son pouce dans un rocking-chair en pensant à sa maison de poupées d'autrefois ou se lover contre le sein généreux d'une servante dévouée... La boucle est bouclée, le giron maternel devient en pensée le plus confortable des cercueils. Le secret de la beauté suffocante de ce film vient peut-être de cette volonté de clore un cycle, de vie, et aussi de cinéma. L'actrice Harriet Andersson mettait ici un point final à vingt ans de travail avec Ingmar Bergman. Après ses débuts de prolétaire sulfureuse et vibrante dans Monika, la voilà qui finissait en dépouille cireuse, le regard traversé d'éclairs de lucidité terminale, consciente du chemin parcouru..."
Marine Landrot" Il y a un an aujourd'hui que notre mère est morte ». C'est le début des Trois soeurs de Tchékhov.
" Il y a un an aujourd'hui que notre mère est morte ». C'est le début des Trois soeurs de Tchékhov. Ce pourrait être celui aussi de Cris et chuchotements. Ou presque.
Dans une de ces grandes demeures bourgeoises que l'on nomme en Suède «château » (tout comme dans la province française d'ailleurs) à la fin du XIXème siècle, une jeune femme émaciée écrit dans son journal intime : « c'est le matin et je souffre ». Une de ces nuits blanches de l'été suédois va bientôt éclater en une aube aux couleurs de Renoir. Agnès (Harriet Andersson) meurt (...) ses deux sœurs, Maria (...) sont venues près d'elle. Elles s'éveillent tandis que la servante, Anna commence à vaquer aux occupations du matin (...) Sans cesse, un chuchotement, dans leur conscience (et sur la piste sonore), ronge les trois sœurs comme le ver irréfutable dont parlait Valéry. Et Anna la bonne entend toujours les appels et les rires de la fillette qu'elle a perdue.
Voilà pour les chuchotements. Quant aux cris, ils sont proprement insoutenables (...)
... rugissement de Karen, la femme frigide qui (...) se barbouille ensuite le visage de sang. Comment ne pas penser alors à la longue scène muette par laquelle Ingmar Bergman avait imaginé de faire commencer sa mise en scène d'« Hedda Gabler », la pièce d'Ibsen. Devant un miroir, Hedda (que jouait à la scène Gertrud Fridh, que l'on a vue dans L'Heure du loup), lentement, portait ses mains de son bas-ventre à sa gorge, révélant ainsi l'horreur du sexe, la maternité redoutée, la nausée.
Nous voilà déjà bien loin de chez Tchékhov et combien près de l'enfer selon Strinberg. Plus encore : Bergman avait fait évoluer son « Hedda Gabler » dans un décor rouge, du rouge de « la Chambre rouge » de Strinberg. Et rouge aussi sont les images de Cris et chuchotements : rouge des décors, du sang et, sur le plan technique, des tondus.
L'auteur du Septième sceau, dans un entretien, s'est déclaré incapable de justifier, raisonnablement, la dominante rouge de Cris et chuchotements : « l'explication la plus banale est peut-être que tout simplement, viscéralement en quelque sorte, depuis l'enfance, je me suis toujours représenté l'âme comme une sorte de membrane rougeâtre ».
Est-ce à dire que nous retrouvons là le Bergman préoccupé de métaphysique, auquel il y a maintenant près de quinze ans, dans un pamphlet intitulé Regards sur le cinéma suédois (Visionen i svensk film) Bo Wideberg, qui n'était alors qu'un critique et pas encore le cinéaste d'Adalen 31, reprochait de ne s'intéresser qu'à l'homme dans ses rapports avec Dieu et non à l'homme en tant d'individu dans une société, de faire des « films en forme d'impasse ».
Car on ne dira jamais assez ce que la quête de Bergman et son œuvre ont d'excentrique dans la société Scandinave contemporaine à propos de laquelle Olle Holnberg écrivait en 1933 :« Notre génération est la première dans l'histoire à avoir tenté, de propos délibéré, de se passer de religion et de naviguer à la boussole plutôt que de marcher à l'étoile. ».
Ce que traduisait d'une façon plus agressive encore l'écrivain L. Nordstrom : « Dieu, c'est le travail de chaque jour et le combat contre la misère et les ténèbres ; les hommes du bateau-phare, ce sont des dieux ; le mécanicien de la locomotive, le scieur de long, ce sont des dieux... Celui qui regarde en l'air et y cherche Dieu est tout simplement un âne. »
Cependant, si dans Cris et chuchotements, Agnès est croyante ce n'est pas pour cela que ce film est sans doute le moins désespéré, quoique le plus atroce de l'auteur d' A travers le miroir.
Le ciel n'y est plus obstinément bas et gris comme dans Les Communiants, quand bien même le dieu reste encore caché. Certes, on peut rapprocher l'araignée monstrueuse qui menace la schizophrène d'A travers le miroir du cancer qui ronge Karen. Mais la véritable dimension du film n'est pas divine, elle est humaine.
Il faut comparer Les Sourires d'une nuit d'été à cette scène de Cris et chuchotements où Maria et Karen, enfin, se parlent, s'écoutent, se frôlent, se touchent dans une suite d'images enchaînées en spirale.
D'un côté, la sécheresse, les sourires figés en grimace ; de l'autre, une certaine tendresse. Bien sûr, ce sera encore l'échec. Les deux sœurs, un instant rapprochées, seront bientôt séparées par l'infranchissable barrière que l'on n'ose nommer. Mais surtout, lorsque Anna, la servante, prend dans ses bras le cadavre de la cancéreuse dont la tête repose sur ses genoux, c'est une Pieta que saisit la caméra de Sven Nykvist. Enfin une déchirure se produit dans l'univers opaque : l'amour d'un être pour un autre est peut-être possible. Dieu existe-t-il, se demandaient le Chevalier du Septième sceau, le pasteur des Communiants et, à travers eux, l'homme Bergman ne trouvait pas de réponse. Mais aujourd'hui, après le silence de Dieu, lorsque les chuchotements se sont tus, naît un espoir en l'homme."
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