" ... Tout autant qu'une histoire de cul, c'est en effet la chronique d'un amour risqué, vécu à l'écart du monde et des conventions, raconté en voix off (par l'homme) sur le mode du journal intime (...) La litanie des expérimentations corporelles de Y et J pourrait être barbante ou glauque, mais, à force d'insistance et de culot, elle devient une longue et épique équipée en chambre, où le cinéaste parvient à marier plusieurs registres en un cocktail détonant.
Il y a d'abord un comique téméraire, fondé sur la répétition du rituel, à quelques graduations près dans la vigueur ou dans le choix des « outils »... Outils que J range soigneusement dans une mallette prévue à cet effet, semblable à celle d'un VRP. Par ailleurs, entre deux « séances », on voit les tourtereaux ramasser compulsivement des bâtons et autres planches cloutées dans les jardins publics ou sur les chantiers, comme d'autres cueillent des champignons...
A l'heure du repos, ce burlesque se teinte de tendresse et de pathétique : il faut soigner et panser les plaies de plus en plus profondes qu'on a infligées à l'autre. Et puis Y et J parlent beaucoup, commentent leurs ébats, pendant et après, en se bécotant tendrement dans le métro au milieu des cadres et des étudiants... A leur manière, ils sont les propres théoriciens de leur relation. D'où un troublant effet de décalage.
Enfin, leur isolement, leur refus croissant de la réalité et de tout ce qui n'alimente pas leurs jeux donnent la part la plus ample et la plus tragique du film. Le travail, les études, les relations, la famille sont peu à peu repoussés hors champ, et l'aventure de J et Y ne connaît plus qu'un seul ennemi possible : leur propre lassitude.
Jang Sun-Woo, tout moderne et « amoral » qu'il soit, rejoint donc une vieille tradition de la littérature amoureuse, pour constater que l'essence d'une folle passion ne tient pas à ses modalités, même très particulières, mais à sa fin programmée."
Louis Guichard