" Jack, on le connaît par cœur, parce qu’il semble tout droit sorti d’un film des frères Dardenne. Il n’est autre que le petit-cousin « germain » (pour ne pas dire teuton) de Cyril, le Gamin au vélo (2011) qui courait lui aussi, mais aux trousses d’un père indifférent.
Comme les héros des Belges, Jack est mû par une idée fixe et fonce tête baissée dans le bain obstrué d’une réalité sociale qui ressemble à un parcours d’obstacles (...) pourtant, il y a dans Jack plus que l’application d’une formule éprouvée : sans chercher à tout prix l’originalité, le téléaste Edward Berger parvient, pour son troisième long-métrage de cinéma, à faire exister ses personnages comme le monde social dans lequel ils se débattent. Tout d’abord, sa caméra ne mime pas servilement le « tremblé » documentaire de rigueur, mais module de beaux phrasés aériens et des plans plus vifs pour accompagner son jeune héros dans une vaste palette d’humeurs
De même, la belle photographie de Jens Harant glisse habilement des illuminations mordorées de l’enfance (le soleil matinal caressant la peau des deux frères endormis) aux pénombres inquiétantes d’un urbanisme désincarné (les nuits passées dans une voiture abandonnée au fond d’un parking). Plus largement, la variété des espaces et le riche enchaînement de situations entraînent le film sur le terrain d’une épopée en sourdine, lui conférant un souffle et une force de renouvellement inhabituels.
En filigrane de l’action, se dessine comme le revers du modèle économique allemand. Dans l’attente de leur mère, les deux enfants traversent, sans que personne ne prête vraiment attention à leur détresse, les zones indifférentes de l’activité économique (centre commercial, loueur de voitures, chaînes de cafés, cuisine de restaurant), ces jobs précaires où gamberge toute une génération de jeunes adultes.
Paysage d’une morosité infinie qui explique, en partie, l’immaturité de leur mère, cette soif d’amusement où elle noie ses responsabilités parentales. Il n’y a guère que l’enfance qui échappe, pour un temps, à ce triste décorum, par sa façon de se le réapproprier, de le parcourir de biais ou à contre-courant. Elle seule est porteuse de vérité. Et, dans ce cinéma d’obédience « dardennienne », la vérité de l’être, c’est évidemment sa force motrice."
Mathieu Macheret