" La filmographie de Guy Maddin est faite de cartes postales envoyées de l'intérieur d'un labyrinthe. Le cinéaste canadien habite un monde dont les constituants sont d'une part sa propre histoire familiale et amoureuse, d'autre part l'histoire du cinéma jusqu'à l'irruption de la couleur. De film en film, il erre dans un paysage dominé par des figures paternelles et dérisoires, peuplé de femmes désirables et mutilées (il a amputé Isabella Rossellini de ses deux jambes et les a remplacées par des prothèses de verre).
Au fil d'une oeuvre d'une masse désormais impressionnante, il revient sur ses pas, reprend des figures du cinéma soviétique, se souvient de l'expressionnisme allemand. Jamais il ne donne l'impression d'approcher de la découverte désirée, le secret de son âme reste aussi bien caché que celui de la magie du cinéma. Pour aimer Guy Maddin, il faut accepter de s'égarer en sa compagnie.(...)
Le film lance Ulysse de pièce en pièce, dans cette maison peuplée de fantômes de chair. Dès la première séquence, il est établi que la présence corporelle n'est pas ce qui distingue les vivants des morts. Un père à la nudité obscène gît, enchaîné sur son lit, tout en haut de la demeure, gardé par une femme en qui l'on reconnaît Isabella Rossellini. Le dialogue utilise comme grille de cryptage l'argot des gangsters de la Warner, certains acteurs en imitent les maniérismes.
Cette modification - le passage du cinéma de 1930 à celui de 1935 - dans les ingrédients de l'alchimie de Guy Maddin est à la fois inquiétante et stimulante. Inquiétante parce qu'elle met en péril l'équilibre délirant auquel il était parvenu dans Des trous dans la tête ! (2006). Stimulant parce qu'il indique que le réalisateur canadien, qui travaille en dehors du système habituel de production (Ulysse, souviens-toi ! est une commande d'une université américaine), est prêt à s'aventurer sur un territoire plus familier pour le public, à ne plus se contenter de le troubler mais à susciter des émotions plus primaires - la peur (et Guy Maddin pourrait sans doute réaliser le plus terrifiant des films d'horreur), la colère et le désir. En suivant Ulysse de pièce en pièce dans cette maison qui n'est que la matérialisation de l'esprit de l'auteur, on les rencontrera tous les trois."
Thomas Sotinel
